« Le meilleur des produits est celui qui arrive à créer du lien avec chaque client pour qu’il ait envie de le garder et de l’utiliser pendant longtemps. »
Dans cette interview, nous souhaitions aller à la rencontre d’un designer capable de nous raconter ce qui constitue une bonne offre et un bon produit. Échanger avec Juan Pablo, designer produit et architecte, c’était pour nous la possibilité de sortir du marketing. Et dès le début de notre interview, nous nous sommes rendu compte du lien très fort qui existe entre le designer et le marketeur, avec cette phrase que nous aurions pu écrire : « les meilleurs produits naissent toujours d’une marque qui se comprend bien. »
Pour lui, il est impossible de créer un nouveau produit sans bien comprendre la marque, ses valeurs et son ambition.
Les valeurs sont une sorte de ligne directrice, une source d’inspiration et un cadre à la créativité. Elles permettent de prendre des décisions rationnelles, là où de temps en temps, après de long moisdetravailsurunproduit,l’équipe pourrait faire un choix plus émotion- nel : le fameux « j’aime/j’aime pas », alors qu’avec ce cadre c’est plutôt « ce produit correspond-il vraiment à qui nous sommes ou pas ? »
Cette nuance fait toute la différence et crée de la cohérence qui est au cœur de la création d’une offre. Car selon lui, on doit ressentir la marque et ses valeurs dans son design.
Il faut être capable de le reconnaître en voyant son site, en rentrant dans sa boutique ou en découvrant un produit. Cette cohérence est donc autant du ressort de l’équipe marketing que du designer.
Pourlui,ledesign,danssonexpression la plus pure, est avant tout un processus. Il est la réponse matérielle, un résultat tangible à une problématique qui peut être économique, fonctionnelle, utili- taire, ou d’usage. Et c’est justement ce qui fait toute la différence entre l’art et le design : le design a une responsabi- lité de résultat.
Juan Pablo crée selon la méthode scien- tifique (normal pour un ingénieur de formation) : il observe d’abord, que ce soit un phénomène, un événement ou un comportement, avant d’émettre des hypothèses. Ensuite, il va trouver des solutions qu’il va rapidement prototy- per pour les confronter au marché. D’ailleurs, dans cette interview, on découvre le lien du designer avec le client et le concept de co-création. Pour lui, le client vient valider des hypothèses. Quand on veut intégrer l’avis des clients, il est important d’avoir un bon cadre de discussion. On ne demande pas « comment doit être le prochain produit ? » mais on lui fait plutôt tester des prototypes pour avoir son retour car clairement chacun son métier : le client ne peut pas savoir quoi créer, il n’est ni spécia- liste de la matière, de la technologie ou des process. Il est donc important de garder la casquette d’expert, tout en humilité, et de ne pas essayer de la faire porter par le client.
Évidemment, on peut difficilement parler d’objet sans parler de durabilité. Et sa réponse nous a surpris : au-delà
de la qualité de l’objet, pour Juan Pablo, la durabilité est avant tout le lien que le client va pouvoir créer avec le produit. « On crée un lien émotionnel beaucoup plus fort avec la commode de la grand-mère qu’avec l’armoire Ikéa ou avec une paire de Nike faites sur-mesure plus qu’avec toute autre paire de chaus- sures. »
Le lien ce n’est donc pas la qualité mais la relation émotionnelle avec le produit, cette fameuse raison de l’ai- mer, de le garder, qui va bien au-delà de l’esthétique.
Sa plus grande crainte en tant que designer ? Créer le produit en trop, qui n’apporte pas de valeur et qui viendra se confondre au reste de l’offre sur le marché.
Sa plus grande récompense? Quand le produit paraît tellement évident qu’on ne pense pas au designer. L’idée n’est pas toujours de surprendre mais avant tout de trouver des solutions qui paraissent tellement naturelles que le client ne s’en rend même pas compte. Son conseil quand on n’a pas une grande innovation? Tout dessiner. Quand un produit n’est pas une innovation flagrante, l’innovation peut être dans la façon d’en parler, de le transporter, de le protéger ou de le distribuer.