Interview complète de Nicolas Parpex du chapitre 5 « L’ambition enivre plus que la gloire » du livre Ikigai de Marque.
Nicolas Parpex, Directeur Pôle ICC chez Bpifrance, dirige une équipe d’investisseurs pour opérer des accompagnements dans des entreprises de la French Touch de l’univers de la mode, de la création, du publishing, du jeu vidéo et de l’entertainment. Mais aussi investisseur en capital pour Bpifrance dans les secteurs culturels et créative. Mène et a mené des projets d’investissements riches et passionnants dans des start-ups comme BRUT, Fedent (studio Européen qui produit le bureau des légendes), Média Participations (numéro 3 Français de l’édition), mais aussi Focus, Buffet Crampon etc… Pilote pour l’ensemble de la BPI un plan systémique “plan Touch” pour aider l’industrie créative avec un continuum d’outils de financement, d’accompagnement et d’aide à l’internationalisation avec toutes les parties prenantes de l’écosystème (les entrepreneurs, l’état, les fédérations professionnelles, les investisseurs, les banques, etc)
La Bpi est ce qu’on pourrait appeler l’étendard de la start-up nation. Mr Dufourcq votre président, répète souvent “la France est une Californie qui s’ignore”. Qu’est-ce que la France a de moins que la Californie ? En quoi aider à créer plus de start-up Françaises est une stratégie d’avenir ?
Ce que la France a de moins que la Californie, pas grand-chose. On pourrait prétendre que la France est un marché domestique un peu plus restreint que la Californie, mais cela se vérifie de moins en moins. L’écosystème économique est de plus en plus vertical et international native ou global native. Et tout le travail que nous avons mené au sein de Bpifrance dans le domaine de l’innovation, c’est vraiment un travail de traction et structuration de l’écosystème. Notre ambition est d’apporter les moyens de financer les entreprises émergentes, de financer les dispositifs d’accompagnements de ces entreprises, mais aussi de financer les Venture Capital. Au niveau Européen, la France sur ce sujet a pris une position très forte. On a doublé tout le monde, on est encore derrière la Grande-Bretagne, mais nous les avons dans le viseur. La France compte de plus en plus de Licornes. C’est une stratégie d’avenir, il faut créer un écosystème, donner les moyens aux entreprises qui ont une proposition de valeur nouvelle, très différenciante et qui s’accompagne d’un profil de risque élevé, de se développer. Aujourd’hui on est dans le monde de SpaceX de BioNTech, la vision “venture capital”, la vision “stratup” et la vision “innovante” des sujets industriels et économiques devient la ligne de force la plus dynamique du moment.
En tant qu’organisme de financement, quels sont les critères qui vous motivent, vous donnent envie d’aller plus loin dans le dossier d’entreprise qui vous est présenté ?
De manière générale, ce qu’on recherche ce sont des entreprises qui sont portées par des entrepreneurs talentueux, bien entourés, compétents, qui ont une vision, une capacité d’exécution et une capacité d’écouter et se projeter. Nous investissons dans des entreprises qui sont incarnées. Pour la BPI, le 1er critère qui nous motive à s’intéresser au projet, c’est l’équipe et les valeurs que l’entreprise porte. En 2ᵉ critère, nous cherchons des entreprises qui proposent une proposition de valeur différenciante, une proposition qui créer de la valeur qui répond à un besoin de marché. Nous aidons les entreprises qui viennent vraiment changer le jeu, qui proposent quelque chose de vraiment nouveau que ce soit dans le produit ou le service, mais aussi dans la manière dont c’est marketé ou dans l’innovation du business model.
Ensuite, nous examinons des critères en fonction du besoin de l’entreprise. Il faut savoir que BPI France, c’est à la fois un investisseur en fonds propre, un financeur, un accompagnateur. Pour un besoin de financement de l’innovation, là il y a une grande prise de risque et notre enjeu est que le projet se fasse, qu’il aboutisse. C’est ce que nous essayons de vérifier. Pour une demande de financement bancaire, là nous regardons la capacité de l’entreprise à rembourser sa dette avec un business plan qui le permette, une capacité à générer du cash flow. Sur le sujet du besoin de financement de fonds propre de l’entreprise, on est en risque maximum. La nous nous intéressons à des projets qui ont des créations de valeur très forte. Plus l’entreprise est jeune, plus le risque est élevé, plus le projet doit avoir une proposition de valeur forte.
Quelle est la place de la valeur apportée au client dans vos choix ? À quel point, vous regardez le retour des clients quand vous investissez ?
L’expérience client est au cœur de la proposition de valeur. Tout le reste, la techno, le business model, la structure, tout ça doit être au service du client. La qualité, cette excellence de l’expérience client se mesure avec des KPI commerciaux, du concret. Une KPI comme le NPS est évidement des métriques que nous suivant. Mais les enjeux de qualité de l’expérience client, vont au-delà de simple KPI. Par exemple Ubisoft (leader du jeu vidéo Français), c’est une entreprise qui cherche à faire bouger l’état de l’art technologique du jeu vidéo. Leur objectif, gravé au fonds de leur bureau, c’est la “gamer expérience”. Chez Ubisoft, toutes les innovations qu’ils développent doivent être au service du joueur, du client. C’est une vision que nous partageons chez Bpifrance. Nous sommes aussi sensibles à cette culture d’entreprise, au-delà du simple regard sur des KPI. C’est toujours l’usage et l’expérience utilisateur qui tracte l’expérience client.
Si vous deviez garder 2 ou 3 datas clés en tant qu’entrepreneur, lesquels seraient-elles ?
La data, c’est la 2.0 de la statistique, mais il faut l’analyser avec beaucoup de recul, car on lui fait dire ce qu’on veut. Il faut être critique sur la manière dont on la construit. Évidemment les types de KPI à suivre sont très corrélés au type de business model de l’entreprise. Mais on ne peut pas passer à côté de certaines KPI comme le coût d’acquisition client, la LTV même pour les entreprises early stage. Cela permet à l’entrepreneur de s’assurer que son business model fonctionne malgré le facteur temps pour les entreprises en démarrage. Mais encore une fois, ce sont des KPI’s qu’il faut contextualiser. Notre métier n’est pas que de regarder ces KPI’s. Le vrai critère d’investissement, c’est notre conviction que l’équipe dirigeante va être capable de porter une vision, de l’exécuter, de créer de la valeur et de la partager. Par exemple, dans le cadre du plan Touch, nous avons lancé un accélérateur dans le jeu vidéo. Nous avons accueilli un entrepreneur Mathieu Girard qui a commencé sa carrière chez Ubisoft puis à créer deux studios de jeu. Tout son parcours est jalonné du fait qu’il a absolument tout mobilisé en dette, love money, en investissement de business angle et BPI. Le fait d’avoir un business model intéressant et le fait d’avoir à affaire à un porteur de projet qui a su mobiliser et partager sa valeur auprès de partenaires, de proches, des salariés, est un élément fort qui nous réconforte sur la façon dont le projet est et sera portée. Tous les succès mesure découlent de là.
Votre objectif est de faire passer les entreprises au stade de start-up à scale-up à licorne pour certaines. Quelle est la place de la marque dans ces stades ? À quel point le fait d’avoir une marque est primordial pour passer d’un stade à l’autre ?
La marque fait partie des armes secrètes extrêmement puissante d’une proposition de valeur. La marque fait partie des éléments clés notamment dans les entreprises B2C. Nous le voyons dans la mode, les cosmétiques, etc. Une marque qui créer de la valeur, c’est une marque qui porte de l’engagement. La marque a une capacité à activer, engager une communauté, à se faire représenter par cette communauté très identifiée. Ça devient maintenant de plus en plus vrai. Cela devient un enjeu crucial.
Comment on calcule cette valeur de marque. Aujourd’hui nous voyons des entreprises comme Apple qui sont valorisées à 323 Milliards de Dollars ou Louis Vuiton à 32 Milliards. Qu’est-ce que cela veut dire ? Comment ont calcul cela ? Est-ce que cela du sens pour les jeunes marques ?
C’est un débat à la fois cosmique et technique. La valeur de la marque se retrouve dans le business model. Elle se retrouve dans la capacité à vendre ses produits et service, à pricer. Je pense que ce sont des méthodes d’évaluation qui sont théoriques et qui s’appuient sur des méthodes d’extrapolations si la marque devait être licencé. Encore une fois notre vision, c’est que la valeur de la marque est complètement “embédé” dans le model économique et dans la capacité de l’entreprise à être profitable.
On entend souvent dire que les entreprises Française ont du mal à s’exporter. Comment cela s’explique ? Comment la BPI vous faites pour les aider à passer ce cap d’internationalisation.
Il ne faut pas être dans un discours d’autodénigrement. On fait beaucoup de progrès sur ce sujet. Il y a de plus en plus d’entreprises Française qui s’exportent, se développent à l’international, deviennent globales. Évidemment, c’est encore un grand défi pour l’écosystème entrepreneurial français. Il y a des causes à la fois très profondes. Il faut aussi être capable de produire des contenus des contenus qui répondent à des besoins qui ne répondent pas qu’à des marchés locaux. Ensuite il y a des barrières à l’entrée simples et clés qu’il faut savoir lever comme par exemple, savoir bien parler Anglais, savoir bien pitcher. Chez BPI nous aidons ces entreprises, nous mobilisons de manière globale et holistique tout pour aider ces entreprises à craquer le sujet et y arriver. C’est-à-dire à la fois du financement à l’export, et de l’accompagnement, de l’assurance export. Il ne suffit pas d’avoir de l’argent pour créer une filiale, il faut avoir une vraie stratégie, un plan d’exécution derrière. Et pour ca nous organisons à la fois des missions et des formats d’accompagnement pour que les entreprises françaises identifient leur marché, leur besoin de marché aille rencontrer des prospects, des distributeurs et aillent sur des terrains de conquêtes pour rencontrer des gens et prendre la température. C’est le sur-mesure qui doit permette d’aborder ce sujet.
Par exemple avec un grand prestigieux réseau de retail américain, 30 entreprises françaises de la mode, de la beauté ont été sélectionnées pour figurer sur leur market place digitale sous l’emblème du coq de la french touch et ensuite être distribué en physique dans leur boutique. Tout l’intérêt entre la BPI et la french touch est aussi créer des synergies de stratups Françaises qui seront donc plus fortes pour aller conquérir des deals à l’étranger.
Pour m’être beaucoup intéressé au DNVB, il y a beaucoup de réussite en France, mais l’export est compliqué. Par exemple quand Tediber veut s’exporter, il y a un Tediber espagnol ou italien. Tout le côté service client, expérience n’a plus le même sens, la même valeur dans d’autres pays. Comment une marque qui est encrée très localement, peut réussir, s’imposer à l’internationale face à une marque qui pourrait être locale ?
Ce n’est pas évident d’aller craquer l’internationale. Mais cela tient à la fois dans la force de la proposition de valeur, du produit mais aussi de la force de la marque, sur la capacité humaine et financière. C’est comme çà que des marques comme Sezane ont su casser le plafond de verre. Et il faut que BPI mais pas que nous, mais que tout l’écosystème apporte son aide.
C’est quoi le conseil que vous donneriez pour que quelqu’un garde sa ligne de conduite, autant humaine que stratégique et ne pas se faire happer par le quotidien ?
Garder sa ligne de conduite humaine, c’est un enjeu qui dépasse l’aspect professionnel. Il est important de savoir qui on est, de savoir ce qu’on veut, sur quelles valeurs on s’appuie et d’être fidèle à çà quelque soit l’adversité ou l’environnement. Un succès par exemple peut aussi un peu décentrer. C’est important de savoir qui ont été, comment on veut faire les choses et qu’est-ce qu’on veut laisser.
Évidemment, il ne faut pas pivoter toutes les semaines, ce n’est plus être entrepreneur. Mais il ne faut pas être dogmatique, si au départ une proposition de valeur a été trouvée sur une intuition qui finalement ne trouve pas son marché, pivoter est primordial. On apprend beaucoup plus en faisant, en se plantant, en voyant ce qui marche et ne marche pas. Il n’est pas interdit de pivoter. Je rappelle que Critéo au départ, c’était un allo ciné. Ça fait partie des exemples totémiques, mais encore une fois autant il faut rester à ses valeurs sa ligne de conduite mais faut garder de la souplesse du pragmatisme dans la façon dont un pilote son projet entrepreneuriat.
Est-ce que chez BPI vous vous intéressez à la vie des fondateurs ?
Oui çà nous intéresse, mais on n’est pas là pour être intrusif, on n’est pas là pour mélanger le pro et le perso. Mais quand quelqu’un est bien structuré dans sa vie personnelle il l’est souvent bien structuré dans sa vie professionnelle. Nous nous intéressons à tout ça, mais cela ne prend pas la forme d’un questionnaire de Proust ou d’une investigation très poussée. Mais c’est important dans la relation VC/fondateur aussi de se parler, et dans ses relations, nous apprenons des choses sur la vie perso des fondateurs.
Pour finir, quel serait pour vous le conseil ; la ligne de conduite à garder pour un entrepreneur ?
Il faut être passionné par ce qu’on fait, il faut être convaincu. C’est cette force qui bouillonne à l’intérieur, qui se projette, qui permet d’embarquer. Il ne faut pas se lancer dans des projets par parce qu’on pense que ça correspond à une bulle du moment ou qu’on va faire le me to d’une start-up américaine en France. Ce n’est pas le bon moteur. Il faut avoir envie de changer le monde avec le projet qu’on porte ; et idéalement de le changer positivement. On voit qu’on a dans des enjeux climatiques très puissants, des enjeux sociaux et sociétaux très puissants. Avoir une proposition de valeur, même à petite échelle, qui relève de la passion, c’est la meilleure raison de se lancer.
Ensuite, c’est important de s’ouvrir les chakras, de s’entourer, de se faire coacher, de rencontrer des gens. Il ne faut pas être dans le culte du secret de la confidentialité. Ce qui nourrit les hommes et projets, c’est l’échange, la transversalité. C’est un facteur de richesse de confronter les points de vue de faire challenger. On est plus fort plus riche quand on s’est nourrie de l’intelligence des autres. On pourrait citer, 10, 20 grands fondateurs qui ont théorisé cela, mais le grand entrepreneur, c’est celui qui a la capacité de se nourrir des autres.